À Toulouse on a beaucoup parlé ICU durant cet été caniculaire, ICU pour “Ilôt de Chaleur Urbain”. Il se trouve que la ville s’est dotée d’un réseau de capteurs météorologiques dans le but de mieux comprendre ce phénomène et l’atténuer. Une thèse de doctorat (Dumas, 2021) est d’ailleurs disponible sur ce sujet (lien) et sa lecture est plus que recommandée si vous vous intéressez au sujet.
Wes Anderson dans tout ça? J’aime bien.
Le réseau de capteurs météorologiques de Toulouse Métropole
L’image ci-dessus représente la densité du réseau de capteurs météorologiques en place sur Toulouse (source: Open Data Toulouse Métropole); ce réseau a pour but d’estimer les différences de température entre la ville et la campagne. La ville située au centre de l’image est ainsi plus échantillonnée – réseau plus dense – afin de mieux comprendre le rôle de l’environnement urbain direct qui diffère selon les quartiers, classés selon la notion de LCZ, “Local Climate Zone”.
Certaines zones de la ville comme le nord de l’île du Ramier et autour du Jardin des plantes proposent plusieurs capteurs dans le but de mieux comprendre l’impact du végétal en milieu urbain. Tous les capteurs mentionnés ici ne sont pas tous opérationnels et certains n’envoient pas encore de données.D’après les travaux de G.Dumas (2021, thèse) l’ilôt de chaleur maximum annuel moyen après le coucher du soleil est de 3.35°C. Selon la saison, l’îlot de chaleur estival est de 3.95°C en moyenne et a même atteint 6.8°C en juillet 2019. Voilà pour la différence ville- campagne, celle-ci étant représentée par un capteur à Mondouzil, entre autres.
La canicule de juillet 2022 (vue par les capteurs et par Wes Anderson aussi)
L’ICU est un phénomène plus fort durant l’été, et par ailleurs cet été à Toulouse les épisodes de canicule se sont succédés. Les capteurs météorologiques permettent de comprendre comment cette chaleur s’est “répartie” entre l’urbain et la campagne, mais aussi l’intra-urbain. Et d’observer à nouveau à quel point il peut être difficile de dormir la nuit, lorsque les températures redescendent aussi peu.
Ci-après quelques diagrammes à moustaches (“boxplots”) pour mieux s’en rendre compte, après avoir récupéré des jeux de données assez homogènes en provenance de trois stations, entre minuit et 4h du matin, ceci du 13 au 19 juillet – période de transition vers l’épisode caniculaire en 2022.
En marron, les moyennes des deux années précédentes sur la même période de temps.
NB: il est d’usage dans les “boxplots” de montrer la médiane et pas la moyenne, mais nous n’usagerons point, c’est comme ça, et ceci n’est pas un vrai “boxplot”, juste une inspiration.
Sur ces nuits de juillet étouffantes la station Saint Cyprien présente une moyenne à 24.91°C entre minuit et 4h du matin, contre 20.67°C les deux années précédentes. Saint Cyprien est aussi un exemple de LCZ 2, du bâti dense et de moyenne hauteur, qui en général correspond à l’écart le plus fort avec le rural la nuit. Il fait plus chaud à Saint Cyprien que dans beaucoup d’autres endroits de Toulouse; c’est le cas aussi des quartiers de faubourg du fait de leur ensoleillement:
Ces espaces, plus bas et plus ouverts que la LCZ bâti moyennement dense et haut (2) disposent de facteurs de vue du ciel élevés. Ils sont exposés au soleil plus tôt mais également plus tard (…)
Dumas.G, Mémoire de Thèse
Pendant ce temps, à la campagne on observait environ 22° du côté de Mondouzil, presque trois degrés de différence avec Saint Cyprien. Pour dormir il valait mieux habiter Mondouzil, qui restait malgré tout plus chaud que les années précédentes (18.34°C): la campagne n’échappe pas non plus à la canicule.
La campagne à la ville c’est un peu l’île d’Empalot au sud de l’île du Ramier. Des arbres, beaucoup d’arbres. Un parc urbain (LCZ 11) dans le jargon ICU. Et oui, l’air était plus frais à cet endroit, pas aussi frais qu’à Mondouzil mais s’en approchant, laissant même entrevoir une plus grande inertie thermique qu’à la campagne avec moins d’amplitude dans les variations, comme une sorte de “meilleure résistance” à la canicule.
Dans Toulouse, l’île d’Empalot représenterait l’objectif à atteindre pour nos nuits fraîches, car c’est dans les LCZ 11 où l’effet d’ICU est le plus bas, et que le lieu présente une résistance plus forte à l’effet de canicule. Mais il s’agit d’un parc en zone urbaine. Pas d’une zone d’habitat.
Alors, quoi?
L’ICU est un concept différent de la canicule: il y a un effet d’ICU pour chaque saison, été comme hiver. L’ICU relève d’une problématique urbaine, tandis que les canicules à répétition relèvent plutôt du changement climatique, et donc des Gaz à Effet de Serre (GES).
Que peut-on faire pour lutter contre l’effet d’ICU? Déminéraliser, végétaliser, peindre en blanc sont des exemples d’actions possibles. On peut aussi imaginer que construire la ville autrement constitue(ra) un passage obligé, et que ce construire autrement ne se limite pas à la simple densification: construire plus haut et planter 5 arbres en bas quand c’est possible, c’est insuffisant si on souhaite proposer un habitat et des espaces publics adaptés au changement climatique. Et partout où c’est possible, privilégier un habitat mieux orienté et mieux ventilé. Or cet habitat est aujourd’hui contraint, y-compris par la voiture individuelle (*).
Autre limite inhérente à l’ICU: il sera difficile de faire mieux en termes de température urbaine que l’île d’Empalot, autrement dit: même avec une très bonne végétalisation, les canicules en ville restent des canicules. Planter des milliers d’arbres sur l’île du Ramier ne permettra pas de rafraîchir significativement les alentours, contrairement à ce qu’affirme régulièrement Toulouse Métropole, encore récemment:
Il s’agit de faire baisser la température de 3°C sur 30 ha et apporter un rafraîchissement dans les quartiers alentours, (…)”
dans Actu Toulouse, 2 septembre 2022 (lien)
Ça ne veut pas dire que l’initiative de la Métropole est mauvaise, simplement il est très peu probable que les quartiers alentours de l’île du Ramier éprouvent un véritable rafraîchissement grâce aux arbres qui vont y être plantés – encore plus dans un contexte de changement climatique. On y reviendra plus en détails dans un prochain article.
Ce que l’on peut viser en revanche c’est essayer de diminuer les températures nocturnes dans Toulouse, de faciliter les parcours piétons en les ombrageant, en somme ne pas planter tous les arbres sur l’île du Ramier. Privilégier une action pensée et répartie sur tout le territoire urbain, et surtout dont l’efficacité ne se chiffre pas en nombre d’arbres plantés: un arbre adulte est plus efficace qu’un jeune arbuste.
Densifier autrement, établir un PLU climatique comme cadre à respecter pour les décennies à venir: voilà ce sur quoi il faudra peut-être se pencher. Le temps presse.
(*) “Si le stationnement automobile contribue à dessiner le paysage urbain, son influence se déploie jusque dans l’agencement de nos logements. À tel point qu’on lui doit souvent… jusqu’à la taille de notre chambre à coucher. Ainsi, dans de nombreux immeubles, la surface d’une place de voiture en sous-sol correspond à celle d’une chambre dans les appartements des étages. (…) Penser l’habitat en fonction de la trame du parking souterrain est une pratique qui a perduré jusqu’à tardivement et dont le parc de logement actuel porte encore l’héritage.(…)Mais elle a aussi une incidence majeure sur la disposition et la surface des logements, car elle incite les concepteurs à aligner jusqu’en haut de l’immeuble la trame constructive du sous-sol, dictée par la taille des voitures, leur disposition et les nécessités de manœuvre.” Socialter, 28 Mai 2021 (lien)
Bonjour,
très bon article!
La mise en forme graphique est super aussi! A voir la version Burton!
Aujourd’hui, la métropole construit le futur PLUiH climatique 😉
Pour l’île du Ramier il y a le projet LIFE GreenHeart pour suivre les effets de la végétalisation!
Au plaisir d’en parler 🙂
Oh que ça fait plaisir! Merci, je ne savais pas comment te joindre, ahah
Je pense faire plusieurs petits sujets expliquant le travail que tu as fait en essayant d’en expliquer les tenants et aboutissants. C’est un sujet (les ICUs, le fait que la métropole ait mis en place et opère ces capteurs c’est très rare, et qu’elle met en place les 1ères bases de services climatiques): j’adore. J’ai pas fini de lire ta thèse mais je suis plongé dedans en ce moment. Avec plaisir si tu veux qu’on en discute ensemble, je crois que j’ai récupéré ton mail grâce à Benjamin Le Roy! Bien sûr n’hésite pas à contribuer/critiquer etc, tu es mieux placé que moi pour en parler.